SHAKESPEARE, OPHELIA, HAMLET, LE FOU DU ROI
BOIS , HUILE ET TISSUS
2008
A propos de la série des peintres
Elles s'élèvent comme si elles avaient quelque chose à nous dire, ou peut-être veulent - elles garder leur secret? Toujours est-il qu'elles se dressent énigmatiques, un peu comme des "stonehenges" qui auraient perdu leur anonymat tout en gardant leur mystère.
Si ces silhouettes de bois s'offrent à nos yeux avec toute leur complexité, leur masse et leurs volumes, elles sont avant tout habitées. En effet elles ne sont pas anonymes: elles portent le nom d'un ou d'une artiste dont l'oeuvre et la vie ont, d'une certaine manière, marqué le sculpteur. Nous ne pouvons bien sûr pas ignorer ce qu'elles nous évoquent. Pour chacun de nous cela sera différent. Nous percevrons ces présences avec toutes les informations visuelles ou autres que nous avons, et, en cela, la personne qui n'a jamais vu ou entendu parler de Remedios Varo, appréciera son double avec une certaine innocence, aussi riche et fertile que l'appréciation d'un historien.
Avec la série des peintres nous rencontrons Paul Cézanne, Pierre Bonnard, Frida Kahlo, Le Douanier Rousseau, Henri Matisse, Remedios Varo, Magritte. Pourquoi ce choix? C'est simple, tous ont un lien particulier avec leur créateur: leur parcours artistique, leurs valeurs, une vie personnelle parfois compliquée, ces artistes ont de quoi inspirer chacun d'entre nous.
Ce qui paraît évident c'est que ce sont ces silhouettes qui nous interrogent, ce sont elles qui nous proposent des cheminements et réflexions qui échappent au linéaire et au danger que représenterait une interprétation académique par trop contraignante ou une application conceptualiste "contemporaine" et froide.
Ces sculptures nous rencontrent, nous parlent dans leur silence, elles habitent notre imaginaire et nourrissent des interrogations, des sensations, des mémoires, elles nous regardent dans notre présent, et l'on ne peut s'empêcher bien sûr, de se demander ce qu'elles penseraient de notre monde, et de l'Art d'aujourd'hui.
Nous devons donc nous interroger sur le sculpteur, Dusan Petran, un artiste aux multiples facettes, aux talents conjugués, un homme complexe et réservé. Le monde du théâtre et de la grande comédie humaine furent des sources précoces pour l'artiste qui dès son plus jeune âge éprouva une fascination pour les sculptures baroques de sa Tchécoslovaquie natale.
C'est en autodidacte qu'il se met à sculpter le bois pour fuir les coulisses d'une scène trop agitée, tout en se nourrissant des derniers livres circulés en secret en ces jours gris d'avant la chûte du mur. C'est ainsi qu'à plusieurs reprises il put se sauver d'un monde hostile à l'est comme à l'ouest, et qu'il renaîtra de ses cendres avec pour seul atout son incroyable talent de sculpteur.
De Shakespeare à Don Quichotte, de Frida Kahlo à Gertrude Stein, les sculptures de Dusan sont toutes mises en scène, comme si elles posaient là sous nos yeux, avec leur humour, leur poésie et leur poignante profondeur.
C'est une véritable rencontre que nous propose le sculpteur, avec des vies qui ont exprimé quelque chose d'unique, des vies qui ont su transcender la matière, le quotidien, les critiques, la solitude et les trahisons, pour nous amener côte à côte la beauté et la douleur, la recherche physique et la quête spirituelle, le dépassement de soi à travers l'esprit rebelle de l'artiste. Cet esprit, quoiqu'il arrive et malgré les contingences, continue son cheminement, il nous inspire à nous dépasser nous aussi, à comprendre quelque chose, même une toute petite chose de la vie. Quelle qu'elle soit, cette petite chose est notre lien, alors nous aussi nous pourrons nous dresser, prendre leur main, et entrer dans la ronde des "stonehenges".
Agnès Novak
Artiste peintre